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Grandes manœuvres d’automne : à quoi la Russie se prépare-t-elle ?

Igor Delanoë Igor Delanoë
2 septembre 2021
Quels sont les points communs entre les exercices militaires « Zapad » et « Rubezh » qui se tiendront de manière presque concomitante ce mois-ci ? Ils sont nombreux et mettent en lumière un continuum d’insécurité pour Moscou, des plaines d’Europe orientale aux contreforts afghans de l’Asie centrale.

L’armée russe se prépare à réaliser une série d’exercices militaires sur les marches occidentale et centre-asiatique de la Fédération début septembre. Sur le flanc occidental, l’édition 2021 des manœuvres intitulées « Zapad » se déroulera en Biélorussie du 10 au 16 septembre et mobilisera, selon le ministère russe de la Défense, 200 000 hommes, 80 avions et 760 unités blindés. Moscou a déployé dès la fin du mois de juillet les premières unités – comme la 2e division motorisée de la garde de Taman – censées prendre part à cet exercice bilatéral. Des blindés – T-72B3, BMP-2M et bientôt Terminator – ont ensuite été acheminés dans le courant du mois d’août vers les polygones biélorusses. Plus inquiétant pour les voisins occidentaux de la Biélorussie, des systèmes S-300 prélevés sur les capacités du 210e régiment de défense anti-aérienne, basé en région de Moscou ont été envoyés à Grodno, à 4 kilomètres de la frontière polonaise. Selon le ministère russe de la Défense, ils ont vocation à intégrer le centre unifié de préparation au combat de « Zapad-2021 »… et pourraient bien rester en Biélorussie après la fin des manœuvres. Leur déploiement permanent, s’il était avéré, viendrait densifier les couches du dispositif d’interdiction créé par la Russie dans l’exclave de Kaliningrad située à tout au plus une centaine de kilomètres de Grodno. Des Su-30SM devraient se joindre au dispositif début septembre, tandis que des unités de la flotte de la Baltique prendront part aux manœuvres dont le scénario met en scène une « agression menée contre l’État de l’union par des groupes terroristes soutenus par des puissances étrangères ».

À des milliers de kilomètres de là, « Rubezh-2021 » se tiendra du 7 au 9 septembre au Kirghizistan où ont été rassemblées des troupes en provenance de Russie, du Kazakhstan, et du Tadjikistan qui interagiront avec celles du pays hôte sous l’égide de l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), sur fond de retrait américain de l’Afghanistan. « Rubezh » intervient après que Moscou a déjà réalisé des exercices militaires conjoints avec l’Ouzbékistan et le Tadjikistan en août. Enfin, toujours début septembre, la flottille de la Caspienne réalisera des manœuvres avec des unités navales azerbaïdjanaises, kazakhstanaises et iraniennes, dans un format inédit.

Quels sont les points communs entre les exercices militaires « Zapad » et « Rubezh » ? Ils sont en réalité nombreux et mettent en lumière ce que Moscou considère comme un continuum d’insécurité, des plaines d’Europe orientale aux contreforts afghans de l’Asie centrale. Ce « croissant » de crises alimente la représentation de la Russie en « forteresse assiégée » qui prédomine au sein de l’élite politico-militaire russe. « Zapad » et « Rubezh » rentrent ainsi dans une double logique de « réassurance » des partenaires de Moscou, et de dissuasion à l’égard de l’OTAN, d’une part, et des groupes islamistes retranchés en Afghanistan, d’autre part.

« Zapad » vise à réaffirmer la solidité du partenariat russo-biélorusse dans le champ militaro-sécuritaire, tout autant qu’à tenir à distance l’OTAN. Ces manœuvres font également office de réponse à l’exercice international « Defender Europe 2021 » réalisé sous commandement américain entre mars et juin dernier, avec des pays de l’OTAN et des pays partenaires de l’Alliance. « Rubezh » doit de son côté rassurer les républiques d’Asie centrale inquiètes face au retour en force des talibans en Afghanistan, suite au départ des forces américaines. Même si les Russes ont noué depuis 2018 des contacts avec les nouveaux maîtres de Kaboul, Moscou préfère ne courir aucun risque face à de potentielles actions de déstabilisation entreprises depuis le territoire afghan contre les républiques ex-soviétiques d’Asie centrale. Entre nécessité de maintien du dialogue avec les talibans face notamment à la menace présentée par l’Etat islamique au Khorassan et solidarité avec les capitales d’Asie centrale, le Kremlin marche sur une ligne de crête.

Pour la Russie, il s’agit aussi d’occuper une partie du vide sécuritaire créé par le départ des Américains d’Afghanistan en assumant son rôle de leadership, aussi bien au niveau capacitaire qu’en tant qu’acteur structurant en matière de défense avec ses partenaires centre-asiatiques. Cet aspect est d’autant plus important après la guerre dans le Haut-Karabagh l’an dernier, et ce qui a pu être perçu par certains des membres de l’OTSC comme de la timidité de la part de Moscou dans cette crise. En mer Caspienne, la flottille russe reste la formation navale régionale disposant de la puissance de feu la plus importante grâce à ses missiles de croisière Kalibr capables d’atteindre une partie du territoire afghan depuis le bassin caspien.

Face à des menaces de nature bien différentes, la Biélorussie et le Tadjikistan (en tant que membre de l’OTSC) jouent donc le rôle d’Etats tampons pour la Russie. Leur rôle dans le dispositif de défense russe consiste à empêcher la formation d’une « platzdarm », à savoir un territoire tenu par un ennemi à partir duquel des attaques contre les intérêts russes peuvent être réalisées. Au fond, les derniers développements confortent plus que jamais la logique du glacis, structurelle dans la pensée stratégique russe.

Source photo : www.mil.ru
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